Conférence: La déportation des juifs et des résistants : Deux témoins – le 4 avril

 

37760_1_FR_originalAu XXe siècle, des millions d’êtres humains ont connu la déportation dans des camps. La Seconde Guerre mondiale a été le paroxysme de cette pratique brutale.

Parmi les millions de déportés, Magda Hollander-Lafon, parce qu’elle était juive, et Marie-Jo Chombart de Lauwe,  pour actes de résistance.

Deux femmes, deux témoignages de la vie en déportation, mais aussi deux récits de la libération et du retour.

Rencontre organisée en partenariat avec l’ANACR (association nationale des anciens combattants et amis de la résistance) et l’ADIRP (association des déportés internés résistants patriotes).

Avr 032015
 

Marie-Jo Chombart de Lauwe et Magda Lafon, rescapées des camps de la mort dont on commémore le 70e anniversaire de la Libération, ont fait salle comble aux Champs Libres.

Dans une salle de conférences Hubert-Curien pleine à craquer, plus de 400 collégiens et lycéens ont écouté les témoignages de Marie-Jo Chombart de Lauwe et Magda Lafon, vendredi après-midi aux Champs libres.

La première, arrêtée en 1943 à Rennes, fut déportée à Ravensbrück parce qu’elle était résistante. La seconde, juive de Hongrie, fut conduite en 1944 à Auschwitz-Birkenau.

Une conférence publique ce samedi

Revenues de l’enfer, elles ont fait le récit de ce douloureux épisode et pris le temps de répondre aux nombreuses questions de l’assistance. « Pour qu’on n’oublie jamais et pour que plus personne ne vive ce que nous avons vécu. »

400 collégiens et lycéens venus de toute l'Ille-et-Vilaine ont écouté le récit des deux déportées et posé des questions.

Marie-Jo Chombart de Lauwe et Magda Lafon témoigneront de nouveau aux Champs libres, ce samedi, à 15 h 30, à l’invitation des associations d’anciens combattants et anciens déportés Anacr et Adirp. Entrée libre, dans la limite des places disponibles. Réservation conseillée, tél. 02 23 40 66 00.

Ouest-France  

Mar 232015
 

AFP / Jack Guez

Olivier de Menton

« Je voudrais lui demander ce qui la pousse à venir nous voir pour raconter une histoire aussi dure. » Meddy et six de ses camarades de première technologique, au lycée Galilée de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), préparent leur rencontre avec Dina Godschalk, une survivante de la Shoah.

Cachée sous l’Occupation, Mme Godschalk échappa à la déportation des Juifs contrairement à plusieurs de ses parents qui périrent à Auschwitz.

Dans le cadre de leur participation au Concours national de la Résistance et de la déportation, le groupe de lycéens a retrouvé la trace de sa famille, dont la plupart des membres furent déportés, réussissant là où les archivistes avaient échoué.

La dernière survivante de la fratrie, âgée aujourd’hui de 81 ans, a décidé de faire le voyage depuis Israël, où elle vit depuis 1959, pour les rencontrer, le 24 mars.

« Pour rendre l’Histoire plus concrète, nous voulions nous concentrer sur des habitants de Gennevilliers », explique Aurélien Sandoz, l’un des professeurs d’histoire en charge du projet. D’abord les militants communistes déportés puis, à la demande des élèves, la cinquantaine de Juifs qui ont subi le même sort.

« Nous avons focalisé sur la famille Farhi car il y avait énormément d’incohérences dans les archives qui les mentionnaient », explique la documentaliste du lycée, Nathalie Tunc. Les documents officiels ne recensent pas tous le même nombre de membres de la famille déportés et d’enfants cachés à la campagne. Commence alors un véritable jeu de pistes qui va durer six mois.

Unique certitude, Albert, le fils aîné, est le seul à être revenu d’Auschwitz, mais on perd sa trace après son retour le 26 décembre 1945.

Nathalie Tunc et les lycéens décident de tenter leur chance sur Internet. Le nom d’Albert Farhi ne donne rien. Trop répandu. Ils auront plus de chance avec celui de sa petite soeur, Claire, dont ils pensent qu’elle a quitté Gennevilliers avant la déportation de ses parents, en compagnie de certains de ses frères et soeurs.

Pourtant, ça n’est pas gagné. Car Claire Farhi a changé de nom à son arrivée en Israël. Elle est désormais Dina Godschalk: « Je voulais laisser le passé derrière moi », expliquera-t-elle aux lycéens, « même si Claire est toujours à côté de moi ».

En 2012, elle a fait inscrire au mur des Justes de Yad Vashem le nom du comte Henry de Menthon qui les a cachés, elle et ses frères, Raphaël et Jean-Jacques, en Haute-Loire pendant la guerre.

– « L’impression d’être des héros » –

Sans trop y croire, les historiens amateurs contactent l’ambassade d’Israël à Paris et l’Institut français de Tel Aviv. Moins de 48 heures plus tard, Aurélien Sandoz reçoit un coup de fil. Dina Godschalk veut lui parler. « L’émotion était trop forte, j’ai eu quelques sanglots dans la gorge », raconte-t-il, la voix encore chevrotante.

Elle accepte de répondre rapidement par téléphone aux questions des lycéens. Mieux, elle souhaite venir les rencontrer à Gennevilliers dès que possible.

Grâce à elle, Paul, Rémi, Khaled, Quentin, Meddy, Ahmet et Charlène comprennent comment on a pu perdre la trace de la famille entière après la Libération.

« On a l’impression d’être des héros: on est jeunes, on est là pour apprendre et c’est nous qui donnons des informations et non le contraire », se réjouit Khaled.

Albert, revenu des camps, a très vite fui à Rouen et complètement renié sa judaïté. Les plus jeunes aussi ont oublié leurs origines, d’autant plus facilement que la famille était laïque.

Dina, elle, a fait le chemin inverse car, au moment de la laisser partir vers le sud de la France, son père lui a dit: « Ne te sépare jamais de tes frères et n’oublie pas que tu es juive ».

En Israël, Dina a raconté cette histoire d’innombrables fois. Jamais dans sa ville d’origine. « Je suis assez inquiète (…) j’espère que je ne les décevrai pas », confiait-elle à l’AFP à quelques jours de son départ.

Elle profitera également de l’occasion pour retourner voir les lieux où elle a grandi. A quelques pâtés de maison, seulement, du lycée Galilée.


Article publié sur AFP.com

Mar 052015
 

 » Für Humanität, Frieden und Freiheit verantwortungsbewusst handeln« . Der deutscheText.

Ernstàl'expo

Le patient travail conceptuel, d’hommes et de femmes droits commence à porter des fruits en Allemagne : une nouvelle façon de penser émerge timidement dans certains groupes de la population et trouve la force de se présenter publiquement, avec un certain espoir de réussite.

Je voudrais contribuer à ce que l’impuissance muette des justes se transforme en paroles claires  de vérité, d’éclairage et de connaissance.

A la suite du « Saint empire germanique de nation allemande », l’empire allemand de 1871, la 1ère guerre mondiale, la République de Weimar, l’époque nazie, la division de l’Allemagne pendant la guerre froide ont marqué, dans l’histoire récente,  les rapports de force en Allemagne ; la psychologie des peuples, leur conscience, leur subconscient, la spiritualité et la conscience des individus, les thèses et les pratiques de l’économie néolibérale ont profondément été marqués par le quadrige de la Peur, de la Culpabilité, de la Souffrance et de la Mort.

Le sujet, les lieux et les dates de l’exposition offriront l’opportunité de présenter de façon exemplaire, au-delà des régions et nations, des hommes et des femmes qui, mus par un humanisme profond, agirent avec sincérité et responsabilité.

Si l’on tient compte de l’efficacité et de la portée de la résistance, au III° Reich elle ne fut pas le fait des castes au pouvoir, ni de l’administration ni des élites du système. Les résistants se trouvaient surtout parmi ceux qui à contre-courant avaient gardé le courage, de l’humanisme et l’amour, donc parmi les gens humbles, communs. En conséquence la résistance eut des facettes multiples.

La nouvelle façon de penser perceptible actuellement et ma propre vie de 1945 à aujourd’hui, m’ont motivé à participer à cette exposition par deux modules. Les témoins oculaires sont irremplaçables.

Seul celui qui a vécu intensément, est à même de comprendre ;

Celui qui a un vécu, peut le rapporter ;

Celui qui a observé, peut le décrire ;

Seul celui qui est ému profondément, peut saisir ;

Celui qui est touché, est capable d’empathie ;

Celui qui est bouleversé, ressent de la compassion ;

Les souffrances, la culpabilité, la mort, la peur et la puissance peuvent être sublimées en progrès humains comme l’humanisme, la responsabilité, la dignité, la vérité et la équité. C’est précisément cette voie à laquelle on ne peut renoncer et qu’on doit poursuivre. C’est la voie vers la paix, l’amour et le sens.

L’homme est ce qu’il est par la cause qu’il épouse, et il devient humain en se donnant à l’autre.

Ernst Knöß

Traduction par nos amis de l’Association d’Amitié Franco-Allemande de St Gilles – Présidente Ulrike Huet

IN DEUTSCH

Mar 032015
 

LAFON-HOLLANDER_magda_1.2011_854277PC6__sPour le soixante-dixième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau (27 janvier 1945 – 27 janvier 2015), j’ai désiré rendre hommage à Magda Hollander-Lafon, l’une des rares survivantes hongroises d’Auschwitz et la seule survivante de sa famille.
Voici le témoignage de Magda Hollander-Lafon, que j’ai recueilli pour mon livre L’avenir est en nous (3). Magda a été déportée à l’âge de 16 ans !

Magda Hollander-Lafon, Dame Sagesse vous a invitée à sa table et désirerait mieux vous connaître.

• Comment vous présenteriez-vous ?

Pourquoi devrais-je me présenter à Dame Sagesse ? Peu à peu, au cours de notre rencontre, les voiles se lèveront et elle me découvrira. Moi, la miraculée, comme tous les revenants qui ont dit Oui à la vie. Nous avons le choix de rester victimes toute notre vie ou de donner sens à la vie.
Quand je dis « je », il y a une multitude de « nous » en moi qui m’accompagne. Je témoigne pour eux puisqu’ils ne sont plus là pour parler, et pour le monde de demain, pour que cela ne puisse plus advenir ! Je suis un des témoins.
Nous, les revenants, les miraculés, sommes des porte-voix de cet événement inimaginable, l’assassinat méthodique et industriel de tout un peuple, pour la seule raison qu’ils sont juifs !
Des milliers de regards ont disparu
Sans savoir pourquoi.
Ils m’appellent
Ils sont pleins de détresse…
Trente ans après, je perce, émue, le mur épais de ma mémoire
Pour que tant de regards quémandeurs d’espérance
Ne s’évanouissent pas
En poussière…
Si aujourd’hui, je traverse courbatue le pont de ma mémoire, c’est pour que vive longtemps la mémoire de celles et de ceux à qui l’on a volé leur vie et qui, jusqu’au bout, ont voulu nous donner le courage de vivre.. Aucun d’entre nous ne devrait être là. Hitler a échoué, car il reste des survivants !
Aujourd’hui, je ne me sens pas une victime de la Shoah, mais un témoin de la Shoah ! Un témoin réconcilié en moi-même.

• Avez-vous vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé votre parcours de vie ? Cette expérience vous a-t-elle amenée à prendre des décisions qui orientent encore votre vie ?

Toute mon Expérience a été déterminante. Pendant un certain temps, vous la subissez, elle est si lourde, elle vous ploie, vous accable ; puis, peu à peu, tout doucement, vous vous relevez et vous commencez à vous poser des questions sur le sens que vous allez donner à cette expérience et à votre vie !
J’ai été déportée à seize ans. Des juifs hongrois, je suis une des rares à être revenue (1).
J’ai été épargnée. Je suis vivante. J’ai dit oui à ma vie. J’étais trop jeune, et je n’ai pas compris pourquoi nous étions condamnés à mort. De quoi étions-nous coupables ? Je n’ai pas compris la métamorphose des gens ; les uns transformés en bourreaux, d’autres en victimes. Comment cela a-t-il été possible ? Comment sommes-nous devenus des oubliés de l’humanité ?
Après l’arrestation (27 avril 1944) de ma mère, de ma jeune sœur et de moi-même, celle où les gendarmes hongrois nous ont chassées de notre maison, j’ai reçu un choc qui m’a laissée anéantie. Je ne comprenais pas pourquoi nous étions soudain devenues haïssables. J’ai sombré dans l’amnésie jusqu’à en rejeter ma langue maternelle. Je subissais ce chaos comme s’il était irréel, et, en même temps, je me sentais devenir une boule de haine.
Plus tard, à Auschwitz, les nazis nous ont volé des milliers de vies sous mes yeux et je marchais sans voir d’autres issues. Nos larmes dans un ciel sourd et muet devenaient des nuages gris, lourds de colère et de peur.

Aujourd’hui je vis, je réfléchis et, difficilement, j’écris, parce que plus je réfléchis, moins il m’est facile de répondre à toutes ces interrogations.
Cette « Expérience » a été une survie constante car notre vie était menacée à chaque instant. Nous avons été humiliées dans notre humanité, notre féminité. Je ne me suis pratiquement pas lavée pendant un an. J’ai mis longtemps à m’identifier à un être vivant. Nous n’étions « rien ». Comment muer ce « rien » en « quelqu’un », en « quelqu’un de vivant » ? Un long chemin de reconstruction, de lentes relevailles à soi-même.

Il m’a fallu trente ans pour me résoudre à écrire « cette Expérience », car pour survivre, j’avais éteint ma mémoire. Seuls le temps et la confiance dans la vie m’ont appris peu à peu à délier ma voix nouée et à puiser dans la mémoire de mon cœur. Les quelques pages de Quatre petits bouts de pain. Des ténèbres à la joie (2) sont nées d’un passé sombre que l’amour de mon mari, l’arrivée souhaitée, inespérée, exigeante de nos quatre enfants, les amitiés, m’ont permis d’assumer. Aujourd’hui, je sais avec certitude que l’amour créateur de mon époux, mon ami, m’a pacifiée parce qu’il a su croire en moi. Nous continuons avec les joies, les difficultés de chaque jour – mais avec passion – depuis plus de cinquante ans, à réinventer l’Amour. Sa famille est aussi devenue la mienne.
Et aujourd’hui, après un long travail intérieur, après un dégel qui s’est passé doucement, je peux toucher en moi la vie que je suis. La vie est vraiment un miracle. Elle a permis la naissance de quatre « merveilles », moi qui ne voulais pas d’enfants ! Je ne pouvais imaginer que ceux-ci puissent traverser un jour ces mêmes ténèbres. Comment décrire la beauté de ces petits êtres, qui se déploie devant nous jour après jour ?

Et peu à peu, le devoir de prendre la parole s’impose, je ne peux m’y dérober. J’obéis non pas à un « devoir de mémoire » mais à une fidélité à la mémoire de celles et de ceux qui ont disparu devant mes yeux. Il est évident pour moi qu’il fallait transformer cette mémoire de mort en appel à la vie. J’ai compris que la paix ne peut se construire que si chacun de nous trouve ou retrouve le goût de sa vie. Je voudrais que cette mémoire imprimée dans mon cœur inspire la force de vivre et d’agir pour que « jamais plus » puisse devenir une Réalité !

• Quelle est votre vision du monde actuel ?

Comment cela se fait-il que cinquante ans après la libération des camps d’extermination nazis, le fanatisme fasse encore tant de ravages ? Le point commun de tous ces conflits ne réside-t-il pas dans la confiance démesurée des fanatiques, dans la puissance de leur supériorité, la leur ou celle des causes qu’ils défendent ? Est-ce que ce n’était pas le cas des nazis ?
Hier comme aujourd’hui, le fanatique est habité par des certitudes et quand il pense qu’il sait tout, il devient dangereux ; il est fermé au doute et à tout ce qui rend l’être humain digne de son humanité ; il ne se pose jamais de questions et, de toute façon, il n’accepte aucune vision autre que la sienne ; il se pose toujours en victime de l’autre ; et pour être heureux, fier de lui-même, et se sentir exister, il a besoin de sentir que l’autre lui est asservi. N’y a-t-il pas, en chacun de nous, l’un ou l’autre de ces traits ? Il est important que nous en prenions conscience pour résister à la pression de la foule, mais aussi pour commencer le chemin du pardon.
Grâce à mes traversées, je peux mieux comprendre et pardonner à celui qui me blesse. Cette démarche ne peut se faire qu’à l’intérieur d’une parole vraie. C’est difficile, mais n’est-ce pas déjà aimer que d’accepter l’autre là où il est, et là où nous sommes aujourd’hui en devenir ? Si nous étions en paix en nous-mêmes, ferions-nous la guerre contre l’autre ? « Il dépend de chacun de dire, de redire, que la vie est sacrée et unique, que c’est la solidarité et la mémoire qui peuvent sauver l’humanité. »
Je crois qu’en chaque être humain, il y a une parcelle de lumière. Mais j’ai compris que je ne pouvais appeler personne dans le meilleur de lui-même sans être moi-même libérée de mes propres blessures, de mes peurs, de ma violence.

• Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes attachée ? De quelles manières les rendez-vous vivantes ?

Le pardon.
J’ai vécu la triste expérience du remords qui a continué à me ronger au retour des camps, le remords d’être vivante, moi. Pourquoi pas les autres ? Ils me valaient mille fois. Que faire de moi-même maintenant ?
Je n’ai cessé, durant trente-sept ans, de lutter contre cette adolescente qui ne pouvait pas se pardonner d’être vivante, et contre cette adulte qui devait entreprendre une course de vitesse sans entraînement. Je courais pour rattraper le temps. J’ai déployé une telle énergie pour paraître. Pourquoi ce désir de tout faire pour tout le monde ? N’était-ce pas pour me faire pardonner ? Et de quoi ?
J’ai mis longtemps à comprendre que la naissance à moi-même passait par le pardon que je devais me donner. Ce « moi-même », je ne le connaissais pas encore. Je sentais que je devais me pardonner de vivre, me pardonner les mauvais traitements que je m’étais intérieurement infligés. J’ai endossé toute la cruauté des autres, et ce, pendant trente ans. Jusqu’au jour où je me suis dit : « En te culpabilisant, ne donnes- tu pas raison aux nazis ? » Et quand nous donnons raison aux autres, nous démissionnons de nous-mêmes et nous leur donnons un immense pouvoir destructeur sur notre vie. Le jour où je me suis pardonné, j’ai été allégée d’un grand poids, celui de la haine envers ceux qui m’ont fait tant de mal et qui ne nous ont jamais demandé pardon.
Le pardon est une demande. En demandant, nous considérons l’autre. Nous lui donnons la possibilité de répondre oui ou non. D’où vient que nous ayons tant de mal à donner et tant de difficultés à recevoir ?
Dans le pardon, n’avons-nous pas d’abord à nous pardonner, nos mensonges, nos peurs, de nous-mêmes et de la vie parce qu’inconnue ? Pardonner n’est pas encore aimer, mais c’est un petit pas sur le chemin de la réconciliation. Pardonner, c’est changer son propre regard sur soi et sur les autres. Comment cela se fait-il que nous emprisonnions la bonté en nous, que nous laissions la peur en liberté ? Notre âme est comme les ciels de printemps. En nous pardonnant, nous permettons au printemps de fleurir de toutes les couleurs de la vie.

L’amour.
Je crois en l’Amour. Il enflamme la vie autour de lui. Il est gratuit, léger comme un souffle. Il transfigure le quotidien en un royaume où il fait bon vivre. L’amour a séché mes plaies qui sont autant d’ouvertures sur les chemins de l’amitié. Aimer est l’apprentissage d’une vie. Je n’ai pas de mots pour parler de l’amour, ni avec un petit a ni avec un grand A. Je reste jusqu’à la fin de mes jours une fervente apprentie.
« La vie sur la terre m’a éprouvée. Elle m’a aussi beaucoup donné. J’ai été nourrie de tant de chaleur, de sourires, de regards, de visages que je me sens comblée. J’ai tellement de mercis à exprimer que le ciel entier ne suffirait pas à les contenir. J’aimerais partir en aimant. »

Le silence.
Pour ne pas absorber le mal-être, la violence des autres, j’ai appris à écouter sans tout entendre. À baisser les yeux pour ne pas voir un regard déformé par la violence. À rester en silence. Celui qui est en colère ne peut pas entendre, ne peut pas voir. Le silence me permet de rester en moi-même, pour avoir du recul et ne pas subir un tel débordement.
Le silence ensemence le monde intérieur. Ce sont des moments de grâce qui font naître à la beauté. Le silence écoute chanter la vie. Et lorsque c’est Toi qui m’inspires, les mots attendent en silence pour être inscrits dans un moment de grâce.

• À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?

La question qui m’anime est : comment transmettre l’incommunicable avec des mots de façon à mobiliser en chacun un appel à la conscience et à la responsabilité, à la vie ?
Le danger serait d’enfermer la génération montante dans une mémoire uniquement douloureuse. La transmission, pour moi, est un appel à la vie, c’est-à-dire un appel pour chacun à reconnaître en lui son indifférence, sa blessure, sa violence, pour retrouver en lui sa force de vie. Lorsque je suis invitée par des professeurs d’Histoire à témoigner sur la déportation dans des lycées et des collèges, je termine mes interventions par ce message qui est comme une trace : « Mon seul désir, en témoignant, c’est que vous trouviez confiance en vous-mêmes, que vous soyez capables de vous engager en personnes libres. Vous êtes les bâtisseurs de votre vie et vous êtes responsables de votre devenir. »

Je désire également transmettre l’amour de la vie. C’est à l’intérieur de l’univers familial que se transmettent l’amour de la vie ou la violence. La famille est un repère, un lieu d’envoi de nos enfants à leurs responsabilités, à leur vie. Je suis convaincue que c’est de l’harmonie de la famille que dépend la paix du monde et de nous-mêmes. Ma famille – mon mari, nos quatre enfants, les onze petits-enfants que nous avons aujourd’hui – est pour moi le premier cercle de la société. Elle peut être un lieu d’accueil, d’enracinement, d’apprentissage de la vie, une source de création, de re-création jamais finie. Un commentaire midrashique dit : « Pourquoi l’Éternel n’a pas achevé la création ? – C’est pour que chaque être humain puisse la parachever. »

À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : « Nous sommes tous des compagnons de voyage » ?

Je peux voyager refermée sur moi-même, avec un Dieu au passé. Alors je traverse la vie comme un aveugle survivant, victime des autres et de lui-même.
Je peux muer ce voyage de mort en voyage de vie, avec un Dieu au présent qui accompagne ma vie tous les jours et qui me permet d’ouvrir ma porte intérieure vers l’autre.
D’où vient que dans l’Évangile, et souvent dans les homélies, on parle de l’Éternel au passé ? Comment puis-je me laisser recevoir par un Dieu au passé, alors que je sens Sa présence au présent qui m’aide à cheminer de plus en plus vers Lui ?

La vie est devant nous, le passé ne peut être effacé. Il m’a permis par son enseignement d’aller vers l’avenir. Vers plus de Lumière et plus de Vie.

Témoignage recueilli par Marie Clainchard.

(1) Magda est la seule survivante de sa famille, et plus largement de la communauté juive hongroise : en 46 jours et en 147 convois, 437 403 personnes ont été déportées, 350 000 d’entre elles ont été assassinées dès leur arrivée à Auschwitz-Birkenau.

(2) 9782226240705m.jpgQuatre petits bouts de pain. Des ténèbres à la joie – de Magda Hollander Lafon, Editions Albin Michel – 150 pages

(3) Avenir-plat1.jpgL’Avenir est en nous – 43 aventuriers de l’existence témoignent. Marie Clainchard, Editions Dangles – 303 pages

Fév 212015
 

magda-lafon-photo-sPLACE ET POSITIONNEMENT ETHIQUE DU TEMOIN DE LA SHOAH

Magda échange avec Gilles OLLIVIER, professeur d’Histoire-Géographie au lycée Chateaubriand de Rennes lors d’une journée organisée par l’association Universel Singulier le 30 octobre 2009. Notre ami a été 9 ans professeur au Collège des Chalais où il a mené plusieurs programmes pédagogiques autour de la mémoire.

– Magda, quel évènement t’a déterminé à t’engager à témoigner ?

En 1978, Darquier de Pellepoix, a dit : «A Auschwitz on a gazé que des poux ». A ce moment, je ne pouvais plus me taire. Le président de l’Association Jules Isaac pour l’Amitié Judéo-chrétienne m’a encouragée à intervenir. Prendre la parole est une véritable épreuve pour moi, mais je ne peux me dérober ; j’obéis non pas à un devoir de mémoire mais à une fidélité à la mémoire de ceux qui ont disparu devant mes yeux. Il m’est revenu qu’à Birkenau une mourante m’avait fait signe. Ouvrant sa main qui contenait quatre petits bouts de pain moisi, d’une voix à peine audible, elle m’avait dit : « Tu dois vivre pour témoigner de ce qui se passe ici. Tu vas le dire pour que cela n’arrive plus jamais dans le monde. ». Après, j’ai oublié cet événement. Le mensonge de Darquier de Pellepoix m’a révolté et me l’a rappelé. Voilà pourquoi je témoigne aujourd’hui

 – Et toi Gilles, comment reçois-tu cette mémoire ? Quel retour manifestent les jeunes après mon témoignage ?

Ta démarche de témoignage dans les classes s’inscrit dans une volonté de présence réelle d’un témoin et de l’enseignant qui mettent en œuvre à destination des adolescents l’acquisition d’un savoir, l’expérience de la rencontre et la connaissance de la singularité de la personne. Il s’agit ainsi d’amener chacune et chacun de nous à la conscience de l’importance des valeurs en matière d’humanité.

Le vécu est à la fois capital et délicat. Pour toi, à travers tes souvenirs et ta mémoire, lorsque tu dis aux adolescents rencontrés, à propos des camps d’extermination, que tu as survécu et non pas vécu. Pour eux, lorsque tu racontes avec émotion ton arrivée au camp de Birkenau avec ta mère et ta jeune sœur. Le présent de Birkenau, aujourd’hui, ici et maintenant, ne fait alors aucun doute.

La notion de traces est alors essentielle. Celles inscrites dans la chair et le corps, dans les cœurs et les esprits, celles aussi inscrites dans les paysages. Chaque mot, chaque photographie, la question du déplacement ou pas d’un groupe d’élèves à Birkenau et des enjeux révèlent alors le présent des camps d’extermination.

Mais l’importance des traces, c’est aussi celles créées par les adolescents après la ou les rencontre(s) avec toi. Pendant le projet de La Route de la Mémoire mené au collège public Les Chalais de Rennes en 2005-2006[1], les élèves-adolescents d’une classe de troisième ont été ainsi amenés à écrire et à transmettre auprès des autres, toutes générations confondues. La tâche est difficile car s’ils cherchent, personnellement et collectivement, à dépasser l’expression du « plus jamais cela », des questions se posent très vite : doit-on imposer le devoir de mémoire à ces enfants ; doivent-ils et peuvent-ils être, pour reprendre leur expression, des témoins de témoin ?…

A vrai dire, il a été primordial de laisser de la place à leurs créations afin qu’ils y dessinent des traces d’eux-mêmes à partir de ce qu’ils ont reçu et là où ils sont arrivés dans leur prise de conscience.

Ils se sont alors adressés aux habitants du quartier pour un échange en bibliothèque, qu’ils ont eux-mêmes animé, autour de trois ouvrages, fictions et témoignages ; ils ont introduit et conclut une conférence de Jacques Sémelin, professeur à Sciences Po. sur les usages politiques des massacres et génocides. Des adultes, dont certains de leurs parents, ont déclaré avoir pu aborder l’extermination des Juifs et des Tsiganes par cette transmission à rebours, les programmes scolaires d’avant les années quatre-vingt n’étant pas toujours clairs et précis à ce sujet. Ils ont enfin rencontré des élèves de CM2 auprès de qui ils ont partagé leur expérience de classe, leur expérience de vie en répondant à leurs questions.

Cette dynamique, cet engagement se sont nourris des dialogues avec toi, Magda, sur ton expérience des camps nazis, sur ton expérience de la vie.

 – Quelle différence fais-tu, Gilles, entre connaissance et savoir ?

Le savoir, indispensable et construit dans un souci d’objectivité, peut être froid. Rend-t-il nécessairement plus sensible à l’autre, nous engage-t-il irrémédiablement sur la voie de la responsabilité de l’autre ? Je ne le crois pas systématiquement. Que faire alors de l’écoute des autres et notamment des témoins, de l’écoute des élèves et des adolescents, qui permettent de prendre en compte l’intériorité de la personne ? Tu te souviens Magda, qu’il s’agissait sur La Route de la Mémoire, et je cite respectivement les écrivains Annie Ernaux et Jeanne Benameur, tout autant de « sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais » que de faire en sorte que les paroles des adolescents « leur dessinent une place vivante dans le monde ». Dois-je ajouter qu’écouter ne signifie pas acquiescer, mais bien prendre en compte l’autre personne dans ses relations avec soi ?

La connaissance est une co-naissance. Il s’agit de naître, d’advenir ensemble par un engagement le plus authentique possible de soi.

Elle repose sur l’expérience personnelle de sa propre histoire et la conscience de son humanité et elle permet de développer sa responsabilité de l’autre et la responsabilité de sa propre histoire.

L’expérience de la transmission par la relation triangulaire adolescents-élèves, témoin, enseignant, permet à chacun ayant un rapport personnel et familial au passé, différent et plus ou moins développé, d’intégrer ce rapport dans l’histoire de l’humanité : diversité des histoires individuelles vécues, reconnaissance de la pluralité des points de vue et distanciation. Cette expérience, ici vécue dans le milieu éducatif, permet de passer d’une distinction entre Moi et Nous, vis-à-vis de ceux que l’on dénomme Eux, à un Nous plus englobant, sans discrimination.

Bien entendu, il s’agit de rester humble dans cette démarche tant la personne n’a pas assez de toute une vie pour poursuivre son cheminement vers soi et les autres, face à des épreuves individuelles et sociales.

En tout état de cause, devoir d’histoire de l’enseignant et devoir de mémoire du témoin, ou ce que tu préfères appeler Magda une fidélité à la mémoire de ceux qui ont disparu devant tes yeux, apportent du sens à l’adolescent dans son présent car le récit du témoin est un récit pour l’histoire au filtre d’une conscience tandis que la pratique de l’enseignement de l’histoire est de donner aux élèves des repères incontestables et de mettre en perspective, comparer, mettre en débat argumenté générateur d’analyse critique, de civilité et de réciprocité.

– Quelle place accordes-tu, Magda, à l’émotion dans ton témoignage ?

Pour moi, témoigner de ce qui s’est passé là-bas est très difficile, intransmissible. Et parler de tout cela, c’est me remémorer les événements inimaginables que j’ai subis. J’ai pu libérer ma mémoire encombrée et douloureuse de cet arsenal destructeur  -blessures d’humiliation, de haine, de culpabilité et une peur viscérale- pour retrouver en moi cette puissance de vie qui m’a permis de survivre et d’être là avec vous pour témoigner de cette Force de vie.

Ce chemin de pacification vers ma vie me permet de me dégager d’un poids immense, et de me restituer tout doucement à mon histoire personnelle, à mon identité, et de toucher en moi la vie que je suis. Aujourd’hui je ne me sens pas une VICTIME de la Shoah, mais un TEMOIN de la Shoah. Si je me sentais victime de la Shoah, je revendiquerais ma vie au lieu de la vivre. Comment pourrais-je prendre ma place dans un groupe sans consentir à ce chemin ?

Je ne vais pas rentrer dans le sens psychologique de l’émotion, ni l’analyser car elle a des couleurs très différentes selon chacun, mais je vais parler de mon émotion.

Bien sûr, quand je suis devant les jeunes, je suis envahie par une immense émotion. Quand je vois tous ces jeunes visages en devenir, je revois cette foule de jeunes rentrer dans les chambres à gaz et ne pas en ressortir. Là l’émotion monte en moi, imprévisible. Je m’y prépare avant de parler, mais elle peut surgir n’importe quand.

Dans les camps, pour survivre, j’ai dû refouler mes émotions. Une fois, lors d’une intervention devant les jeunes, je me suis effondrée devant eux et je leur ai dit : « Voyez, Hitler n’a pas eu raison de moi, il n’a pas tué l’humanité en moi. » Et j’ai accueilli l’émotion sans la refouler. Souvent nous avons honte de nos larmes ; les larmes ont une connotation de faiblesse. Pour moi, les larmes sont l’expression d’une fragilité qui est en fait une force. Si je n’avais pas pu accueillir et verbaliser mes émotions, j’aurais chargé ces jeunes du poids d’une mémoire uniquement douloureuse de ma vie. Alors que tout mon désir, c’est de transmettre une mémoire de façon à mobiliser chez chacun un appel à la vie.

Je ressens une immense responsabilité de ne pas charger les jeunes de la lourdeur de mon passé. La foi en la Vie reçue de l’Au-delà de moi inspire toute mes interventions. J’ai une foi et une immense confiance en tous ces jeunes qui sont en face de moi.

Ce qui est important pour moi, c’est de les CONSCIENTISER pour qu’ils deviennent vigilants et responsables de leur propre vie. Je leur dis : « DEMAIN, C’EST DANS LE CREUX DE VOTRE MAIN ».

– Peux-tu décrire Magda les étapes de ta démarche quand tu interviens auprès des jeunes ?

La transmission, pour moi, est un appel à la vie. Le danger serait d’enfermer la génération montante dans une mémoire uniquement douloureuse. J’essaie de conscientiser les jeunes, de les inviter par mes questions à ce qu’ils se sentent responsables de leurs paroles.

QUESTIONNAIRE AVANT NOTRE RENCONTRE :

Un juif est qui pour vous ?

En connaissez-vous ?
–          personnellement
–          par vos parents
–          par votre entourage

Si oui, quel type de relation avez-vous avec lui, avec eux ?

Avez-vous entendu des réflexions concernant les juifs ?

Lesquelles ? En quelles circonstances ? Qu’en pensez-vous ?

L’antisémitisme n’est qu’un aspect du racisme. Nous Côtoyons des étrangers : noirs, gitans, arabes, asiatiques…Comment les voyez vous ?

Voyez-vous une différence entre antisémitisme et racisme ?

Avez-vous été victimes de racisme ? Si oui, pouvez-vous préciser ?

Quelle différence faites-vous entre camps de concentration et d’extermination ?

Quelles questions aimeriez-vous poser personnellement à Magda ?

Nous dépouillons les réponses avec une dizaine d’élèves et leurs professeurs. La rencontre est alors riche d’échanges. Mon intervention se fait à partir de leurs questions.

QUESTIONNAIRE APRES NOTRE RENCONTRE

Comment avez-vous perçu la rencontre avec Magda Lafon ?

Y a-t-il des paroles qui vous ont particulièrement marqué ? Si oui, pouvez vous dire lesquelles ?

Il y a peut être des questions que vous avez en votre cœur et que vous n’avez pu formuler. Vous pouvez le faire ici.

Concrètement, que proposez-vous pour vous, autour de vous, au collège, avec vos amis et dans votre vie quotidienne pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme ?

Les professeurs prennent à ce moment là le relais.

– Gilles, après notre rencontre, en quoi ta transmission de l’histoire s’est-elle modifiée ?

J’ai été amené à me dire clairement qu’il n’y a pas d’histoire sans histoires personnelles. C’est ainsi que les adolescents se sentent concernés.

Les projets pluridisciplinaires qui ont suivi, liant plusieurs disciplines enseignées, enseignants et intervenants, donc plusieurs personnes avec non seulement des formations différentes mais aussi des sensibilités différentes, ont été menés en collège dans cet esprit : Migrations, mémoires d’adolescents, Écrire sa famille, écrire l’histoire, Itinéraires et identités, récits d’adolescents.

Cette fois-ci ce sont les adolescents eux-mêmes qui se sont retrouvés en travail sur leur mémoire familiale et personnelle dans un atelier d’écriture, dans le respect du droit à l’oubli, pour un partage de paroles mises en scène auprès d’un public autre que celui de l’institution scolaire, ce qui a rendu la démarche plus sensible et délicate à la fois.

Les objectifs étaient d’aider les adolescents à se construire positivement en (re)connaissant leur propre valeur et leurs propres importance et situation dans la société et l’humanité ; de faire le lien entre histoires de vie et histoire ; d’envisager le rapport entre fraternité et diversité par la relation aux autres et à soi même et une approche de l’histoire comme une culture commune, tout cela en lien avec les programmes de l’Éducation nationale.

Bref, il s’agissait d’une démarche intergénérationnelle, dans les deux sens, amenant les adolescents à réfléchir en même temps aux possibilités de l’héritage d’une mémoire et de faire de l’histoire.

Adolescents-élèves et enseignant se retrouvent ensemble sur le sens humain de l’enseignement de l’histoire car si l’écriture ou le récit de soi ne peuvent servir d’analyse historique, une histoire de vie est porteuse d’histoire.

Pour autant, l’enseignant, passeur vigilant entre mémoires et histoire, garant des échanges préparés par et avec les élèves, doit mettre en garde ceux-ci, citoyens et personnes en devenir, de la mise en concurrence des mémoires, de paroles, qui se voudraient exclusivement paroles de preuves.

Au moment de notre rencontre auprès des jeunes, nourris de mon expérience professionnelle, personnelle, familiale voire intime, je suis entré de plain-pied et de manière intentionnelle, dans le champ de l’éthique, cette morale de l’action, pédagogique ici. Je suis franchement entré dans cette expérience de la non évidence de la transmission et d’une éducation qui, comme l’écrit Philippe Meirieu, actualise peu à peu l’universalité ; dans la conscience que l’éducation est propice, dans le respect de la liberté de chacune et de chacun, par les échanges et les rencontres, l’accompagnement des adolescents-élèves, à l’élaboration du principe d’universalité.

 Te souviens-tu, Magda, de ces quelques mots d’élèves et de parents ?

– Florian : « Je pense qu’il faut faire face au passé et j’ai l’impression d’avoir progressé dans ma vie quotidienne, plus particulièrement dans le dialogue avec les autres ».

– Les parents de Lauren : « C’est une grande opportunité de pouvoir profiter d’une réflexion de groupe ainsi qu’individuelle sur des évènements à jamais gravés dans l’histoire de l’humanité. Lauren a été conduite à apprendre à communiquer et à trouver sa place un peu plus chaque jour dans le groupe.».

– Les parents de Lucille : « Le projet a amené Lucille à une grande réflexion et, nous le pensons, l’a aidé dans son avenir à faire les choix pour que plus jamais de telles choses ne se reproduisent ».

– Élodie : « Maintenant pour moi ce n’est pas fini, c’est un commencement».

 – Magda, comment ressens-tu les jeunes que tu rencontres ?

Je les ressens comme plein d’attente, de présence, de sensibilité et d’ouverture. Ils posent des questions très profondes. Ils sont habités d’une potentialité et d’une richesse personnelle, qui m’émerveillent.

Je les invite à changer leur regard sur eux-mêmes. Je leur dis : « Lorsque vous êtes témoins d’une situation que vous ressentez comme inacceptable, humainement injuste, faits-vous confiance. Discernez, choisissez et devenez responsables de votre choix. Transformez l’indifférence et l’ignorance. »

Combien, nous les adultes, nous avons aussi à changer le regard sur eux et à les prendre où ils sont, et pas là où nous voudrions qu’ils soient. J’ai une foi immense dans leur devenir.

Il nous reste maintenant à imaginer ensemble comment œuvrer, comment cultiver de vrais liens avec moins de peur, pour retrouver en nous l’espérance en l’humanité de l’homme afin de devenir des témoins vigilants aujourd’hui, là où nous sommes.

Vous êtes bâtisseurs et responsables de votre devenir.

Magda Hollander-Lafon, Gilles Ollivier

30 octobre 2009, Rennes

[1] On peut consulter à ce sujet le site : http://laroutedelamemoire.free.fr