Histoire et mémoire : le camp d’internement des Nomades de Rennes 1940-1945
Un document important à lire !
Qui connaît l’existence d’un camp de nomades à Rennes de 1940 à 1945 ? Et si à Rennes, elle a été longtemps laissée sous silence, que dire des autres camps en France et ailleurs pendant la 2è guerre mondiale ? Le travail de mémoire ne concerne pas que les vaincus…
Novembre 1940 : ouverture à Rennes, dans la périphérie Sud-ouest, du camp départemental dit «des nomades », dit parfois du Pigeon Blanc, rue Leguen de Kérangal, sous la tutelle de la Préfecture d’Ille-et-Vilaine. Le camp est entouré d’une clôture de fils barbelés. Le terrain a une surface de 100 mètres de long sur 90 mètres de large et est occupé par deux bâtiments.
Nous avons voulu mettre dans notre blog une publication exemplaire du travail de mémoire mené au sein de l’Ecole Républicaine (avec les élèves de la classe de Première Littéraire du lycée Chateaubriand à Rennes) en lien avec des acteurs de la Vie de la Cité (le MRAP 35, l’AGV 35/Accueil des Gens du Voyage) et avec la collaboration des services de l’Etat (ici les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine). Réalisé en 2011-2012, ce travail a « abouti » à la pose d’une plaque commémorative en mai 2013 rue des Frère Moine en présence du Maire de Rennes.
Le MRAP précise : « Le camp de Rennes était un camp d’internement au régime moins sévère que les tristement célèbres Moisdon-la-Rivière, Montreuil-Bellay ou Jargeau : les hommes pouvaient sortir pour travailler, les enfants aller à l’école, certaines familles y vivaient dans leur roulotte. Mais les conditions de vie, d’alimentation, d’hygiène y étaient très précaires. Ils vivaient sous la contrainte. On n’y enfermait pas dans un cachot. Mais on sait désormais que certains sont partis vers une destination inconnue… camps plus répressifs ou camps de concentration ?
C’est le gouvernement français qui avait décrété dès avril 1940 leur interdiction de circuler. Puis, à la demande des autorités d’occupation, c’est le gouvernement Pétain qui a organisé leur internement. C’est ce même gouvernement qui a laissé déporter vers les camps de concentration des «Tsiganes » en nombre inconnu, quelques centaines, un millier? S’il n’y eut qu’un nombre limité de décès de Tsiganes français, ceux qui sont revenus de ces camps en ont gardé sur le bras le tatouage, et dans la tête l’indicible.
C’étaient des gendarmes français qui allaient chercher les récalcitrants pour les enfermer dans les camps d’internement et les y gardaient. Et c’est le gouvernement de la Libération qui les a maintenus dans les camps jusqu’en janvier 1945 à Rennes, jusqu’en mai 1946 au camp des Alliers à Saliers ».
Gilles OLLIVIER, professeur d’histoire-géographie, indique la méthodologie choisie pour ce travail :
« Le projet pédagogique sur le camp des nomades de Rennes (1940-1945), dont la publication témoigne ici, a été mené avec les élèves de la classe de Première Littéraire du lycée Chateaubriand à Rennes, répartis en huit groupes thématiques afin de faciliter la mise en question et la problématisation du passé.
Ils étaient encadrés par leurs professeurs d’histoire-géographie et de lettres, Madame Marie Authié, ainsi que par le professeur relais des Archives d’Ille-et-Vilaine. Le partenariat avec le MRAP 35 et AGV 35 ne pouvait que donner une perspective plus large à leur recherche, en lien avec la fonction sociale de l’histoire dans la cité, et non plus uniquement scolaire, dans le respect des programmes. Les élèves ont pu découvrir et critiquer, essentiellement pour l’année 1942, des archives conservées aux Archives départementales, complétées par celles conservées aux Archives nationales.
C’est par souci de discrétion que nous avons choisi de masquer les noms des différents protagonistes. Les élèves ont été d‘emblée dans leur culture, la culture écrite. Cependant, assez rapidement, à la lumière des limites des archives écrites, souvent administratives et souvent à charge pour justifier l’internement des nomades, ils ont éprouvé la nécessité de la collecte de témoignages singuliers et des archives orales, afin d’introduire du sensible et d’approcher les femmes et les hommes au-delà des stéréotypes.
Ainsi, la notion de point de vue, génératrice de distanciation, s’est imposée. Par l’intermédiaire d’une rencontre avec la médiatrice culturelle des Archives municipales de Rennes, ils ont pu appréhender la méthode de la collecte orale et se rendre compte que si un témoignage, nécessairement subjectif, ne pouvait à lui seul être une analyse historique, une histoire de vie était en même temps porteuse d’histoire. De plus, par leur souci d’aller vers les gens du voyage sur leur terrain, pour leur rendre compte et leur lancer un appel, les élèves, futurs citoyens, ont montré leur désir de rencontre, sans préjugés, et leur respect d’une culture autre que la leur.
Faire de l’histoire, même en amateur de plus en plus éclairé, passe aussi par la mise en récit. Il a fallu parfois s’y prendre à plusieurs reprises pour une restitution écrite, dont témoigne cette publication, et une restitution orale, destinées à rappeler aux Rennais que l’histoire du camp des nomades est une histoire qui ne concerne pas que les gens du voyage, mais bien la Ville de Rennes et ses citoyens. Par leur travail mené avec enthousiasme, les jeunes ont contribué à un devoir d’histoire. Cela ne s’est pas démenti tout au long de l’année scolaire, preuve d’une coexistence harmonieuse possible des mémoires et de l’histoire au sein de l’École de la République.
À condition d’une pratique démocratique, capable de reconnaître l’histoire de tous, ouverte sur celle des autres grâce à un regard décentré. C’est ainsi que nous aurons des élèves concernés par les événements, par les possibles, les changements à venir, d’une histoire commune qui fait lien. »
Ajoutons ici un extrait des propos de Jean-Yves PRAUD, Président d’AGV 35 :
« Cette démarche permet de remettre en évidence un chapitre noir de notre histoire. Beaucoup moins connue que la contribution du gouvernement de Vichy à la «solution finale», l’internement et la déportation des «Tziganes » s’inscrivait dans la même logique d’élimination des différences.
L’équipe d’AGV35 s’est mobilisée pour accompagner ce projet initié par le MRAP en organisant notamment des rencontres entre les lycéens et les gens du voyage. Ces derniers ont apprécié l’intérêt que ces jeunes portaient à leur histoire. Il convient qu’en des temps où l’on voit renaître une stigmatisation des différences, nous n’oublions pas. »